St-Jean du Doigt (29)
La sortie du 17.03.2007 à St-Jean-du-Doigt, Finistère
Le complexe gabbro-dioritique de Saint-Jean-du-Doigt |
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A l’invitation de notre association, une trentaine de personnes se sont retrouvées au rendez-vous de Lanmeur pour aller à la découverte du “ Gabbro de Saint-Jean-du-Doigt ” réputé pour ses brèches magmatiques, ses mélanges plus ou moins complexes entre gabbros et diorites, mais dont l’histoire géologique, qui commence seulement à être déchiffrée, réserve bien des surprises.
Présentation : le contexte géologique (Fig.1)
Le massif de Saint-Jean-du-Doigt est localisé dans la région dite du Petit Trégor, entre la baie de Lannion et la baie de Morlaix.
Figure 1- Schéma structural du massif de Saint-Jean-du-Doigt (d’après la feuille géologique Plestin-les-Grèves)
A l’est et au sud, le craton trégorrois à noyau paléoprotérozoique (Icartien, autour de 2 milliards d’années), écaillé lors des événements varisques de la fin de l’ère primaire, n’a, semble-t-il, pas subi le métamorphisme correspondant.
A l’ouest, en revanche, on trouve le domaine métamorphique du Léon, structuré durant les temps hercyniens.
Entre les formations léonardes et le complexe magmatique de Saint-Jean-du-Doigt se trouvent, d’ouest en est, les formations sédimentaires siluro-dévoniennes, la série dévono-carbonifère du bassin de Morlaix et l’intrusion mafique métamorphisée de Barnenez (dolérite), mise en place dans les formations carbonifères struniennes.
La signification de ce corps basique demeure énigmatique, même si des arguments géochimiques tendent à le rapprocher du massif de Saint-Jean-du-Doigt.
Le complexe gabbro-dioritique est bordé au nord par les granites de la Baie de Morlaix, mis en place vers 300 millions d’années. Ces plutons appartiennent à la famille des “ granites rouges ” nord-armoricains au sein de laquelle on compte, entre autres, le complexe granitique de Ploumanac’h.
Bien qu’un âge de 350 millions d’années a été proposé pour Saint-Jean (méthode Uranium/Plomb sur zircon, Chantraine et al. 1986), les arguments de terrain, notamment les contacts lobés entre gabbro et diorite, prouvent indubitablement que le complexe gabbro-dioritique et les granites sont contemporains.
Du point de vue géochimique, le gabbro montre une affinité de tholéiite continentale.
Saint-Jean-du-Doigt, un remarquable exemple de MASLI
- Le complexe de Saint-Jean-du-Doigt appartient à un groupe de corps intrusifs nommés dans la littérature internationale MASLI (Mafic-Silicic Layered Intrusions – Intrusions litées silico-basiques).
Ces massifs sont considérés non pas comme de simples plutons, mais comme de véritables chambres magmatiques fossilisées.
Ils se distinguent des complexes mafiques lités de type Skaergaard (Groenland) par le fait que les roches qui les constituent sont, pour la plupart, d’anciens liquides cristallisés et non des cumulats.
Les MASLI sont tous caractérisés par des alternances gabbro-dioritiques et par la présence systématique de granites périphériques contemporains.
Il existe au moins une autre intrusion de type MASLI dans le massif armoricain : le complexe gabbro-dioritique qui affleure dans la partie nord de l’île anglo-normande de Guernesey, dont l’âge est par contre cadomien.
Les différents arrêts (Fig.2)
Figure 2- Le circuit et les différents arrêts
A partir de Lanmeur prendre au nord la direction de Guimaëc. Dans ce bourg, contourner l’église par la gauche pour partir au nord vers Christ.
A l’entrée de ce hameau prendre à droite (fléchage) la route qui descend vers Poul Rodou. Stationner en face du café-librairie Capland and Co.
Depuis Capland and Co prendre le sentier littoral en direction de Beg ar Fri (Beg an Fry). Longer le littoral et, après la première pointe rocheuse marquée par un “ mur ” de granite, descendre sur l’estran rocheux.
Arrêt n°1- Poul Rodou (Poull Roudou) (Guimaëc) : Lits et diapirs
Le site de Poul Rodou présente de remarquables alternances gabbro-dioritiques sous la forme de lits clairs dioritiques, aujourd’hui inclinés mais à l’origine horizontaux, bien identifiables au sein d’un ensemble gabbroïque sombre relativement homogène qui montre toutefois localement des cumulats à amphiboles.
Ces alternances sont en contacts lobés avec plusieurs petits corps granitiques contemporains.
D’un point de vue géochimique, les lits leucocrates ont une composition isotopique Sr-Nd (Strontium-Néodyme) différente de la roche environnante. Les niveaux dioritiques ne peuvent donc pas s’interpréter en tant que produit de différenciation du gabbro. Ce matériau magmatique s’est donc injecté dans le gabbro.
Les lits, épais de quelques dizaines de centimètres, plus ou moins réguliers, ont des bordures souvent lobées. Ils laissent échapper vers le haut de petits volumes de magma dioritique qui forment autant de diapirs leucocrates figés au cours de leur remontée au sein du magma gabbroïque.
Ces diapirs, constitués d’un matériel plus évolué et donc moins dense que les lits, sont issus de leur différenciation in situ. On observe en outre fréquemment autour de chacun d’entre eux une auréole de diffusion dans le gabbro.
Les diapirs ont tendance à s’hybrider dans le magma basique. Ils se morcèlent, s’effilochent, se décomposent en boules, ce qui explique l’aspect un peu hétérogène de l’estran.
Ils peuvent même rejoindre d’autres lits dioritiques.
La succession des événements magmatiques peut se décliner comme suit:
1/ Cristallisation de gabbro dans la chambre magmatique.
2/ Injection de magma dioritique. La diorite arrive dans la chambre et remonte par différence de densité. La charge cristalline du gabbro diminue et il y a équilibrage entre les deux magmas. Par la suite la diorite s’étale en forme de lit.
3/ Cristallisation au sein du lit dioritique, avec minéraux les plus denses à la base et apparition d’un jus résiduel qui s’en échappe sous forme de diapirs.
Du point de vue localisation dans la chambre magmatique, il est possible que l’on soit ici à la base du réservoir, périodiquement réalimenté par des jus dioritiques, ou bien en position latérale.
Remonter vers Christ, traverser le hameau (chapelle et croix) et poursuivre la route sinueuse sur environ 5 kilomètres. Obliquer à droite pour rejoindre la route littorale (D 79A) qui mène à gauche vers la plage de Saint-Jean-du-Doigt puis Plougasnou que l’on rejoint.
Dans Plougasnou prendre la direction de Primel-Trégastel (D46)
Stationner en bordure de la plage de Trégastel.
Arrêt n°2- Plage de Trégastel , Primel-Trégastel (Plougasnou) : Pegmatites gabbroïques
Si la pointe de Primel est connue pour son granite qui a la même signification que le précédent, les rochers de la plage de Trégastel font affleurer des roches basiques qui montrent trois faciès différents.
Le faciès le plus répandu est un remarquable gabbro à grands cristaux squelettiques de plagioclases blancs et d’amphiboles sombres. La taille de ces minéraux atteint plusieurs centimètres. Les variations de texture y sont rapides et les niveaux monominéraux ne sont pas rares.
Ces roches sont globalement qualifiées de pegmatites gabbroïques ou de pegmatitoïdes.
Leur composition globale correspond à celle d’un gabbro magnésien et leur chimie est celle du faciès gabbroïque massif commun ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’un jus tardif qui aurait été différencié.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce faciès provient non pas d’un lent refroidissement d’un magma basique, mais d’une cristallisation très rapide à partir d’un fluide pegmatitique par un phénomène de trempe du magma ; on y observe d’ailleurs du verre. Selon la pression de fluides on a tantôt des niveaux grossiers, tantôt des niveaux plus fins.
Le deuxième faciès correspond à des dolérites rencontrées sous forme de filons (dykes) au sein du premier faciès. Ces roches ont la même composition isotopique et la même composition minéralogique que les pegmatites gabbroïques. Elles sont considérées comme un système d’alimentation de la chambre magmatique.
Le troisième faciès, près de la route, est un gabbro à gros grain dans lequel les plagioclases blancs sont aisément identifiables. Il s’agit d’un faciès de cumulat à plagioclase + amphibole issu de la cristallisation fractionné d’un magma.
Il faut signaler que ces faciès de cumulats sont très présents entre Primel et Saint-Jean-du-Doigt, toujours en alternance avec des faciès pegmatitoïdes.
Il y a là l’association classique cumulat – pegmatitoïdes, celles-ci résultant d’un liquide échappé du cumulat
Du point de vue géométrique, nous sommes ici sur la bordure de la chambre magmatique, lors d’une étape précoce de la formation du massif gabbroïque avec alimentation au sein d’un cumulat, avant les associations que l’on observe à Poul Roudou qui elles correspondent à la partie inférieure du système magmatique rythmée par l’alternance lits gabbroïques-lits dioritiques.
Poursuivre vers la plage de Primel ; longer cette plage et remonter vers Plougasnou via Sainte-Barbe. Contourner complètement l’église de Plougasnou pour redescendre vers la Plage du bourg. Stationner sur le premier parking à gauche.
Arrêt n°3- Plage du bourg (Plougasnou) : mélanges magmatiques
L’anse de Saint-Jean-du-Doigt est traversée par une grande structure faillée globalement située à l’emplacement de la vallée du Donant de part et d’autre de laquelle les faciès magmatiques diffèrent.
A l’ouest de l’anse (plage du bourg de Plougasnou), on peut observer à la fois sur les blocs polis de grande taille et sur les affleurements de belles morphologies de mélange magmatique non homogénéisé entre gabbro et diorite (“ mingling ” ou mélange mécanique), ce qui procure un aspect chaotique à l’estran. Les parties gabbroïques sombres ont des contours arrondis, lobés au sein de la diorite claire.
Nous sommes vraisemblablement ici dans la partie centrale et dans la zone la plus évoluée de la chambre magmatique, là où les mélanges entre magma basique et magma plus acide sont les plus visibles.
Cette zone convective a produit des mélanges plus ou moins aboutis entre diorite et gabbro ainsi que des faciès d’hybridation.
A noter que le gabbro de Saint-Jean-du-Doigt est déjà, lui-même, le produit d’un mélange entre différents magmas basiques.
Parmi ces faciès, on distingue assez facilement des pegmatitoïdes à taches (pegmatites gabbroïques) dont le mécanisme de formation n’est, pour l’heure, pas expliqué.
Vers la pointe occidentale quelques filons aplitiques recoupent l’ensemble.
Faire quelques centaines de mètres pour rejoindre l’autre extrémité de la plage (plage de Saint-Jean-du-Doigt) où l’on stationnera. Partir à pied sur la droite vers les rochers qui ferment à l’est la plage et poursuivre au delà de la première pointe.
Arrêt n°4- Plage de Saint-Jean-du-Doigt (Saint-Jean-du-Doigt) : brèches magmatiques
Si à l’est de la faille de Saint-Jean-du-Doigt on retrouve l’association gabbro-diorite, les structures qui dominent sur cette portion de côte correspondent à des brèches constituées de blocs mélanocrates de gabbro de toutes tailles qui baignent dans une matrice leucocrate dioritique. Cette disposition traduit vraisemblablement la fracturation hydraulique par un jus dioritique de zones gabbroïques quasiment solidifiées (“ magmatic stopping ”).
Ces brèches magmatiques se sont formées à la limite cassant-ductile comme en témoignent les blocs de gabbro aux contours à la fois anguleux (cas le plus fréquent) et plus lobés.
Contrairement à l’arrêt précédent, nous ne sommes plus au coeur de la chambre magmatique mais plutôt à sa périphérie
Les formations de l’anse de Saint-Jean-du-Doigt sont traversées par des dykes doléritiques et dioritiques.
Conclusion : Un modèle préliminaire de chambre magmatique
Par comparaison avec d’autres complexes de type MASLI, en particulier celui de Guernesey, qui fait actuellement l’objet d’une étude parallèle, ces faciès contrastés sont interprétés comme reflétant différents niveaux d’une chambre magmatique.
(1) Les alternances gabbros – lits/diapirs leucocrates de Poul Rodou se seraient formés dans la partie inférieure d’une chambre magmatique périodiquement réalimentée par des jus dioritiques.
(2) Les faciès de mélange de Saint-Jean Ouest (Plougasnou) correspondraient à la partie centrale convective du réservoir, tandis que les brèches anguleuses de Saint-Jean Est seraient un faciès latéral.
(3) Les pegmatites gabbroïques pourraient s’être formées dans la partie supérieure du réservoir, peut-être au début de son fonctionnement.
(4) Les granites septentrionaux ont une position périphérique. Près de leur contact, le gabbro contient parfois des enclaves de socle. Ceci suggère une mise en place précoce des granites.
Comme on l’a vu, les quelques points visités sur le segment littoral menant de Poul Rodou à Primel-Trégastel offrent la possibilité d’accéder à des objets géologiques d’une très grande originalité en Bretagne, qui sont loin d’avoir révélé tous leurs secrets, les gabbros y étant par ailleurs fort rares.
Nul doute que ces localités doivent dès à présent être intégrées au patrimoine géologique régional.
Texte : Jean Plaine, Martial Caroff, Nolwenn Coint
Clichés : Jean Plaine
Document utile
Carte géologique à 1/50 000ème, feuille n°202 Plestin-les-Grèves.
Bibliographie
CHANTRAINE J. et al. 1986- Notice explicative de la feuille Plestin-les-Grèves, 84p., BRGM éd.
SANDREA A. 1960- Contribution à la lithologie de la côte nord de la Bretagne, Bull.Serv.Carte géol.France,258.