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Erquy (22)

   Le Cap d’Erquy…

                          …au-dessus de la plage, les pavés.

Moins célèbre que la fameuse Côte de Granit(e) rose, la Côte de Grès rose d’Erquy-Fréhel, géographiquement à cheval entre Côte de Penthièvre et Côte d’Emeraude, toujours dans les Côtes-d’Armor, n’en est pas moins attirante. Chaque été, ainsi qu’aux autres saisons, une multitude de touristes s’y retrouve pour admirer les particularités de cette roche souvent ordonnée en couches faiblement inclinées et découpées en hautes falaises verticales.

Labellisé depuis 2019, Le Grand Site de France du Cap-d’Erquy-Cap-Fréhel (Fig.1) commence à retrouver des circulations, piétonne et cycliste, plus adaptées à son caractère naturel de landes à bruyères et ajoncs.

Figure 1

(Fig.1) - Logo d’Erquy avec connotation géologique

Le descriptif qui suit vous présente un circuit court aménagé à Erquy autour du patrimoine industriel des carrières qui ont été ouvertes pour l’exploitation du grès rose durant la fin du 19ème et le début du 20ème siècle.  Pour les textes, il s’inspire très largement d’un petit guide intitulé « Cheminer sur les traces des carriers….les sabots râpés » (Fig.2) publié en 2011-2012 par le Conseil Général des Côtes-d’Armor (Service Randonnées et Espaces Naturels), long d'une trentaine de pages, auquel j’ai participé.

Figure 2 

(Fig.2) - Couverture du livret

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Itinéraire

Depuis Lamballe prendre la route d’Erquy. Entrer dans ce bourg et, au premier feu de circulation, aller à gauche par la rue des Salines pour rejoindre le boulevard de la Mer.

Stationner immédiatement en bord de mer pour débuter le circuit.

Tout en laissant derrière vous la pointe de la Heussaye (ou Houssaye), célèbre en géologie pour la diversité de ses roches volcaniques (Erquy la verte), partir à pied en direction du port et du cap d’Erquy situés à l’extrémité nord de la plage.

Tout au long du boulevard de la Mer, de belles villas bâties en grès rose d’Erquy ourlent ce vaste axe aujourd’hui très amplement dédié aux aires de loisirs et au stationnement automobile.

Figure 3Figure 4

(Fig.3) - La plage actuelle                          (Fig.4) - La Banche

Figure 5Figure 6

 (Fig.5) - Le Cap et les carrières                       (Fig.6) - Les carrières au début du 20ème siècle                                     

Un ancien marais côtier

Cette promenade est aujourd’hui aménagée et fortement urbanisée. Il est difficile d’imaginer qu’elle est installée sur un ancien cordon de dunes (la Banche) à l’arrière duquel s’étendait une vaste zone marécageuse régulièrement envahie par la mer (Fig.4). Des salines y furent aménagées avant que les premières édifications de villas balnéaires à la fin du XIXème siècle ne viennent provoquer la disparition définitive de l’espace dunaire.

Le boulevard de la Mer, autrefois boulevard de la Grève, n’était alors qu’un large chemin que le sable recouvrait régulièrement.

              Figure 7Figure 8

       (Fig.7) - Villa Gagey (10 rue des Salines)     (Fig.8) - Villa Neis Coalenet (17 bd de la Mer)

Figure 9Figure 10

(Fig.9) - Villa Penthièvre (25 bd de la Mer)       (Fig.10) - Villa Saint Michel (19 bd de la Mer)

Actuellement, les villas se distinguent les unes des autres par leur architecture, faisant largement appel au bois et au grès local de couleur rose qui tranche avec le blanc du sable et le bleu de la mer. L’une des plus remarquables est celle de « Neis Coalenet » (Fig.8), (au 17), élevée avant 1900, tandis que la dernière est la « villa Gagey » (du nom de son architecte) (Fig.7) bâtie en 1930 à l’angle du boulevard de la Mer et de la rue des Salines (10 rue des Salines).

Poursuivre au-delà du boulevard de la Mer, par la rue du Port en direction de la moderne Maison de la Mer et de la criée.

Dans le fond du paysage s’étend le cap d’Erquy, haut d’environ 110 mètres, en haut duquel étaient ouvertes les carrières de grès rose (Fig.5 & 6) encore aisément identifiables et desquelles s’échappaient des monticules de déblais (Fig.12) aujourd’hui pratiquement tous disparus ou recouverts de végétation rudérale. De même était autrefois accessible, en cet endroit, la discordance entre la série rouge paléozoïque type Erquy-Fréhel (Ordovicien) et les séries protérozoïques sous-jacentes, type La Heussaye.

 Figure 11Figure 12

(Fig.11) - Le port (version début du 20ème siècle)   (Fig.12) - Monticules de déblais au-dessus du port

Passer devant la récente petite zone commerciale, sans oublier d’observer en façade une rares œuvres sculptées dans le grès rose (les Moussaillons) puis entrer dans la zone portuaire contrôlée et contourner la criée pour rejoindre la falaise du Cap d’Erquy qui, sur la droite, surplombe les installations.

Là, un escalier en bois, de facture récente, réinstallé plusieurs fois en quelques années en raison de l’instabilité de la paroi (Fig.13 & 14), monte vers les carrières et permet d’observer l’important conglomérat lité qui constitue la base de la série ordovicienne d’Erquy-Fréhel, partiellement recouvert de déblais de grès d’Erquy.

Figure 13Figure 14 

(Fig.13) - Escalier détruit                                          (Fig.14) - Escalier rénové

C’est pratiquement à cet endroit qu’aboutissaient les wagonnets chargés de pavés en provenance des diverses carrières qui, descendant du haut par un funiculaire (Fig.15) dont on devine le départ et la trace dans la pente, étaient véhiculés par rails encore visibles près de la capitainerie (Fig.16) et chargés vers les bateaux à destination des principales villes bretonnes ou d’autres cités situées hors de la province (Fig.17 & 18).

Figure 15Figure 16

(Fig.15) - Le funiculaire et le port                  (Fig.16) - Rails devant la capitainerie

Figure 17Figure 18

(Fig.17) - Appontement devant la capitainerie                  (Fig.18) - Chargement des pavés

Il débouche finalement à son niveau supérieur sur le sentier de grande randonnée qui parcourt le cap (le fameux GR 34) sur lequel est disponible un sentier d’interprétation sonorisé constitué de 10 stations, le sentier « Cheminer sur les traces des carriers…les sabots râpés », pour mieux connaître l’histoire du grès et des hommes surnommés dans les carrières « les sabots râpés », allusion à l’allure des ouvriers qui ont exploité le grès d’Erquy.

Prendre à droite pour atteindre un observatoire (Fig. 19) qui offre un point de vue sur la baie d’Erquy avec son port et, plus près de nous, sur le front de taille de l’une des carrières ennoyées connue sous le nom de Maupas ou des Lacs Bleus (ou encore Lac Bleu).

Station 1  - Le Lac Bleu

Figure 19

(Fig.19) - Depuis le belvédère des Lacs Bleus

Sous le règne de Louis Philippe 18-19ème siècles), la population locale va « cornir », c‘est-à-dire prélever en surface la pierre de « renard » ou poudingue dans la garenne (surface supérieure horizontale du Cap recouverte d’une lande), déjà utilisée au Moyen-Âge pour la construction des églises (Erquy, Pléneuf-Val-André, Pléboulle).

L'exploitation artisanale des carrières de la garenne d'Erquy commence à la fin du XVIIIème siècle avec la famille Le Doledec qui  tire avec difficulté une pierre au grain fin, se prêtant à la taille, appelée (de manière incorrecte) "granit" [roche fine avec du grain, d’origine magmatique].

Les premières carrières sont ouvertes vers la fin du Premier Empire, alors que la garenne appartient à l’État français. Ces carrières familiales sont exploitées par des maçons, originaires de Caroual (lieu-dit situé à l’ouest de la commune).

La famille Cholet exploite la dangereuse carrière du Pendu, Pierre Dayot, celle autour du rocher du Sémaphore, Jean Rault, la carrière le Gentil et Doledec, celle du Petit Port.

En 1848, un entrepreneur de Saint-Servan, Claude Jouanne, obtient du préfet l’autorisation d’ouvrir la carrière de Maupas (aujourd’hui le « Lac Bleu ») pour en tirer les matériaux nécessaires à la réalisation de la route nationale n°137 en remplacement de la route impériale Saint-Malo/Bordeaux).

Revenir sur vos pas pour atteindre le niveau inférieur de cette carrière.

Des torrents de cailloux

 Figure 20Figure 21

(Fig.20) - Aménagement de circulation en bois             (Fig.21) - Panneau d’information              

Observez la falaise haute de quelques dizaines de mètres de hauteur qui se dresse à votre droite devant vous : c’st l’ancien front de taille de la carrière des Lacs Bleus dont la couleur actuelle reflète bien mal le nom puisque, depuis son ennoiement, elle s’est chargée de matières humiques ce qui explique sa teinte actuelle (Fig.22 & 23).

Sur la gauche, au niveau de l’eau du « lac » un aménagement en bois (Fig.20 & 21) permet d’atteindre une trouée effectuée dans les niveaux supérieurs du conglomérat d’Erquy tel qu’il apparaît au long de l’escalier depuis le port.

A cet endroit, il est possible d’examiner la totalité du grès d’Erquy organisé en bancs épais de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur susceptibles de fournir un matériau de qualité. La couleur rosée plus ou moins prononcée est due à l’existence d’oxyde de fer irrégulièrement réparti au sein de la roche.

Figure 22Figure 23

(Fig.22) - Front de taille des Lacs Bleus                   (Fig.23) - Détail du front de taille

On retrouve à son sommet le conglomérat  d’Erquy contenant de nombreux galets, épais de quelques mètres, dont la couleur rouge lie-de-vin est caractéristique. Il est identique à celui observé depuis le port. Un niveau de conglomérat blanc peu épais surmonte de façon érosive l’ensemble.

Figure 24Figure 25

(Fig.24) - Grès d’Erquy                                             (Fig.25) - Grès d’Erquy

Ainsi, le grès d’Erquy (Fig.24) apparait comme un corps sédimentaire à la granulométrie relativement fine (Fig.25), situé à l‘intérieur d’un corps sédimentaire beaucoup plus grossier, conglomératique, à la couleur rouge affirmée (conglomérat d’Erquy). C’est l’architecture que l’on trouvera tout au long du cap d’Erquy.

Les conglomérats sont formés de fragments anguleux de quartz blanc à gris, de phtanites noirs (roche siliceuse à grain très fin généralement de teinte sombre)  et de roches variées qui traduisent un transport relativement court, réalisé par des torrents dévalant de fortes pentes. Ces débris d’origine détritique trouvent leur origine dans le démantèlement de la chaine cadomienne. Fragments rocheux et sable se sont accumulés sous forme de cônes alluviaux, au pied des montagnes de l’époque en voie de stade ultime d’aplanissement (Fig.56).

Poursuivre à travers de nombreux déchets de grès pour atteindre une carrière plus  intime, noyée comme celle du Lac Bleu, qui possède une flore particulière relativement rare dans les Côtes-d’Armor, l’Osmonde royale (Osmunda regalis), variété de fougère géante protégée au niveau régional (Fig.26).

Figure 26

(Fig.26) - Osmonde royale

C’est de cet endroit qu’étaient versés à la mer les nombreux rebuts de grès (Fig.27) en provenance, surtout, de la grande carrière des Lacs Bleus.

 Figure 27Figure 28

(Fig.27) - Rebuts de taille jetés à la mer                 (Fig.28) - Conglomérat d’Erquy lité

Station 2  - Une vie rythmée par les carrières

Selon le témoignage d'un ancien carrier
,

les ouvriers pouvaient travailler jusqu'à 11 heures par jour, suivant la longueur de la journée, mais cela dépendait de surtout de la saison. En hiver, on commençait avec le jour et on finissait avec la nuit. En été, les journées étaient plus longues et plus variées. « A la saison des moissons, avant de partir à la carrière, je fauchais le champ d'un voisin, à la faux évidemment, et je terminais mon travail au retour de la carrière. Cela me permettait de gagner plus d'argent car à l'époque, le salaire d'un ouvrier agricole était à peu près identique à celui d'un carrier. Je doublais donc le salaire de ma journée ».

Après un parcours au long duquel on rencontre, sur la gauche, des bancs de conglomérat en relief (Fig.28), et sur la droite, des grès, des siltites et des pélites (Fig.29 & 30) colorés en rouge vif et organisés en bancs successifs, puis une zone légèrement chaotique, on atteint d’anciennes et imposantes carrières plus ou moins envahies par la végétation (Fig.31 & 32).

Ces grès et siltites, organisés en alternances régulières, ne semblent pas avoir une grande extension au sein des grès d’Erquy, si bien qu’ils sont compris comme une grande lentille au sein de la série sédimentaire corroborée par une absence de continuité latérale. Ce type d’organisation correspond à une mise en place particulière dans un milieu sédimentaire original qui sera évoqué un peu plus loin.

Figure 29Figure 30

(Fig.29) - Le sentier au niveau des pélites                      (Fig.30) - Les pélites rouges

Figure 31Figure 32

(Fig.31) - Ancienne carrière de grès                   (Fig.32) - Front de taille (état actuel)

Station 3  - L’organisation au sein de la carrière

Figure 33Figure 34

(Fig.33) - Les ouvriers dans une carrière                             (Fig.34) - Dans la carrière

Figure 35Figure 36

    (Fig.35) - Les ouvriers                                  (Fig.36) - Vue générale d’une carrière

A la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, les carrières employaient jusqu'à 200 ouvriers. L'activité au sein de la carrière s'organisait autour de différents corps de métiers : le contremaître, l'extracteur ou mineur, le coupeur de pierre, le tailleur de pierre, le manœuvre, le forgeron et l'apprenti.

À l’époque industrielle, une comptabilité dénombre, sur 202 personnes :

✖ 67 extracteurs-coupeurs ✖ 56 tailleurs de pavés ✖ 5 casseurs de pierre ✖ 47 manœuvres ✖ 5 chefs de chantier ✖ 1 charretier ✖ 21 enfants apprentis.

Les enfants de 12-14 ans représentaient un quart de la masse salariale dans les carrières artisanales jusqu’en 1903-1911.

À la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, les carrières employaient jusqu’à 200 ouvriers, selon un rapport rédigé en 1911.

Figure 37

(Fig.37) - Equipe de « sabots râpés »

L’activité au sein de la carrière s’organisait autour de différents corps de métiers : 

  • • le contremaître était chargé de diriger les ouvriers et de superviser l’exécution du travail ;
  • • l’extracteur ou mineur détachait des blocs rocheux de la falaise à l’aide d’explosifs ou à la chante-perce (la chante-perce est un outil en fer forgé, sorte de barre à mine, d'un petit diamètre, à section octogonale de dimensions réduites) ;
  • • le coupeur de pierre réduisait les blocs en linteaux pour que les tailleurs puissent travailler ;
  • • le tailleur de pierre taillait la roche selon des gabarits prédéfinis (dalle, moellon, pavé) ;
  • • le manœuvre, sans qualification particulière, était chargé de déblayer, soit débarrasser les mauvais cailloux et la terre jusqu’à la grève (déchets de carrière) ;
  • • le forgeron assurait le façonnage et l’entretien des outils abîmés par la dureté de la roche ;
  • • l’apprenti était chargé de débosser les pavés, réalisés par les tailleurs: lorsqu’il restait des bosses, ils les enlevaient avec une massette.

Difficile d’imaginer devant l’aspect plutôt calme et serein de la succession des carrières remplies de végétation et plus ou moins envahies par l’eau, du désordre apparent qui existait autrefois dans la série d’exploitations entamant le grès rose d’Erquy (Fig.40).

Aujourd’hui le chemin de randonnée organisé sur une ancienne voie ferrée métrique Decauville permettant la circulation des wagonnets pleins de la production de dalles et de pavés n’est plus qu’un ruban pierreux plus ou moins horizontal

Les fronts de taille, parcourus par des surfaces de diaclases délimitant des dièdres,  sont devenus des spots d’initiation à l’escalade (Fig.38 & 39).  

         Figure 38 Figure 39

(Fig.38) - Accrochés à la paroi            (Fig.39) - Escalader le front de taille

Station 4  - Des marins carriers

De nombreuses familles d’Erquy, logées dans la partie haute de la commune, à Tu-es-Roc, vivaient de la grande pêche à la morue, vers Terre-Neuve puis « à Islande ». À leur retour, à l’automne, les hommes allaient travailler dans les champs et dans les carrières comme manœuvres.

Erquy, une position littorale privilégiée

Au Moyen-Âge, l’activité du port d’Erquy est tournée vers la pêche côtière et l’exportation des produits agricoles. Le dynamisme du commerce maritime s’intensifie aux XVIème et XVIIème siècles avec le commerce du vin, du sel, des céréales et du bois. Conjointement, la pêche à Terre-Neuve se développe et emploie une main d’œuvre rurale, abondante et disponible.

Pendant le XIXème siècle, l’activité des carrières industrielles s’accroît avec l’exportation des pavés de grès entraînant la construction de deux cales d’embarquement, d’une voie ferrée et d’un funiculaire (Fig. 40).

Figure 40

(Fig.40) - Aspect des travaux sur le cap

Le port connaît ainsi un regain d’activité. Dundees, sloops et goélettes se succèdent le long du quai d’embarquement pour prendre leur chargement de pavés.

Figure 41 Figure 42

        (Fig.41) - Chargés dans le wagonnet               (Fig.42) - Wagonnet sur sa voie ferrée       

L’épuisement des carrières, l’arrêt des exportations agricoles et la concurrence du chemin de fer, en 1922, entrainent la fin de l’activité commerciale du port. À partir de 1950-1960, la découverte des gisements de praires et de coquilles Saint-Jacques entrainent une nouvelle orientation de la pêche artisanale.

Erquy est aujourd’hui devenu le premier port de pêche à la coquille Saint-Jacques des Côtes-d’Armor. Une vocation remplace l’autre !

Le port se modifie sans cesse.

Ainsi au port primitif situé de l’autre côté de la plage au pied de la pointe de la Heussaye se substitue au XVème siècle, près du cap d’Erquy, un ouvrage qui est dit « port de la Chaussée » dont on voit encore la trace à marée basse. Plus tard, au XIXème siècle,  c’est le port « de la Vèze » dont les caractéristiques, aujourd’hui facilement accessibles, sont en partie liées à l’activité  des carriers. Poursuivant son extension, le port s’inscrit de plus en plus vers l’extrémité du cap d’Erquy.

Station 5  - L’extraction dans la falaise

Figure 43Figure 44

(Fig.43) - Sur le front de taille              (Fig.44) - Au travail

Le travail en carrière commençait par l’extraction. Les mineurs, expérimentés, grimpaient sur le front de taille pour extraire la roche de la falaise.

Il faisait ça à la main?

En partie oui... mais ils utilisaient aussi la poudre noire.

L’extraction consistait à percer verticalement, tous les 20 cm, la roche avec une barre à mine ou une chante-perce. Le trou, qui pouvait atteindre jusqu’à 1 m de fond, était chargé de poudre noire. L’explosion entraînait le décrochement d’un bloc de roche.

À la force du poignet ! À la sueur de leur front !

L’utilisation des barres à mines

À chaque coup de masse, la barre était tournée d’un quart de tour pour éviter qu’elle ne se bloque.

La tige métallique pénétrait la roche lentement sous les chocs des lourds marteaux qui frappaient en cadence dans un ensemble parfait.

La manutention était considérable : sorti à la main à l’aide de crics, de madriers ou d’une chèvre, le bloc de grès était ensuite déplacé sur des rondins en bois. Le plus souvent extrait en hauteur sur le front de taille, il fallait parfois une journée de travail à trois ouvriers pour le descendre sur le plat (le carreau), où il était possible ensuite de le faire rouler.

Station 6  - Des conditions de travail difficiles

Figure 45

(Fig.45) - Borne signalétique de station

Les risques d’accident étaient importants, notamment pour les ouvriers qui travaillaient sur le front de taille.

Environ 15 % des accidents étaient mortels (mauvais emploi des explosifs, chutes….)

Les hommes travaillaient encordés pour prévenir les chutes. Le contremaître surveillait la manœuvre, le clairon à la main.

L’instrument signalait l’explosion imminente d’une mine et l’on criait aux alentours : « Gare à la mine ! »

Des lunettes et des chemises en cotonnade fermées au col et aux poignets pour se protéger à tout prix des éclats de roche !

Des ceintures de flanelle pour tenir au chaud les douleurs.

En plus des accidents fréquents, les ouvriers travaillaient dans un nuage de poussière sans savoir qu’ils risquaient la silicose (maladie pulmonaire due aux poussières de silice qui pénètrent dans les voies respiratoires puis se collent aux bronches et se transforment en ciment).

Les « sabots râpés »

Les carriers étaient tous équipés de sabots cloutés pour limiter l’usure et protéger leurs pieds. Le bruit des sabots aux talons usés, était reconnaissable, lorsqu’ils descendaient de Tu-Es-Roc (rue des Terre-Neuvas)...

Station 7 - Le Taillandier

  Figure 46Figure 47

          (Fig.46) - Ancien mur de la forge                     (Fig.47) - Aménagements d’interprétation

Ici on a du mal à imaginer l’intense activité qui régnait dans et autour de ce bâtiment somme toute à l’allure bien modeste à l’époque du maximum d’exploitation des carrières se trouvait la forge (Fig.46 & 47).

Et on y faisait quoi ?

J’entends encore le son du marteau sur l’enclume.

Une musique bien rythmée révélait le geste répété du forgeron : un coup de marteau sur le fer, deux petits coups sur l’enclume.

Ce bâtiment qui date probablement du XIXe siècle, abritait la forge de la carrière. Un ouvrier avait besoin de deux brouettes de burins par semaine pour assurer son travail.

Aussi, tous les deux jours environ, le tailleur, également forgeron, reforgeait ses outils sur l’enclume. La forge comportait un foyer et un soufflet qui permettait d’attiser le feu et ainsi d’augmenter la température du charbon. Le forgeron faisait rougir le fer qu’il tenait entre ses pinces pour ensuite le battre sur l’enclume avec différents marteaux. Il lui donnait la forme souhaitée au moyen d’une étampe. La pièce terminée, encore chaude, était trempée (chauffée rouge vif, puis plongée dans l’eau froide pour refroidir rapidement le fer et donc durcir la pièce forgée).

La meilleure eau pour la trempe est l’eau salée.

Station 8 - Les effileurs de grès

Un baquet de sable en guise d’établi.

Le demi fût taillé en baquet et rempli de sable faisait office d’établi pour limiter la pénibilité du travail. Il permettait de caler le pavé pour mieux travailler et limiter le rebond en absorbant le choc de l’outil sur la roche.

      Figure 48Figure 49       

        (Fig.48) - Baquet remis en état                   (Fig.49) - Technique du baquet

Le tailleur façonnait à la demande des pavés 17 x 30 ou du 14 x 24 tandis que les pavés plus petits, de 10 x 10 x 10 cm, étaient appelés « paquets de tabac ».

Un abrupt de grès et de conglomérat souligne la fin de la voie Decauville principale qui oblique sur la gauche (Fig.54) pour atteindre la carrière la plus récente dans laquelle le front de taille est parfaitement lisible, semblable à celui des Lacs Bleus mais où les couches sont plus fortement inclinées.

Sur la gauche, un très court passage dans les déblais de carrière, offre un superbe point de vue sur la carrière la plus récente du cap, la carrière dite des Espagnols, soulignant ainsi un des types de main-d’œuvre étrangère venu exploiter le grès (Fig. 50) et dont les rebuts ont servi à la construction du barrage de la Rance entre 1961 et 1965.

On y voit un très beau front de taille dégageant une masse de grès en bancs bien définis plongeant de quelque 40° vers le nord surmontés par quelques puissants niveaux de conglomérat qui, en surface, constituent la pointe des Trois Pierres (Fig. 52 & 53), support à un édifice un peu particulier : un four à boulets. Construit en 1794 ce four avait vocation, comme d’autres construits au niveau de plusieurs batteries de la Baie de Saint-Brieuc, à porter à incandescence les boulets et d’incendier les navires hostiles (Fig. 51).
 Construit en partie avec les matériaux extraits sur place, cette bâtisse servait à chauffer des boulets à rouge de façon à alimenter une batterie de trois canons (l’expression « tirer à boulets rouges » tient son origine de cette époque).
La préparation du foyer, le temps de chauffe et la fumée produite se sont avérés incompatibles avec la nécessité de rapidité de l’action. L’utilité de ce four n’a malheureusement pas été vérifiée si l’on en croit le combat naval de mars 1796 entre la corvette française « l’étourdie » et un bateau  anglais qui s’est soldé par une défaite côté français.

Figure 50Figure 51

(Fig.50) - Carrière des Espagnols                                  (Fig.51) - Le four à boulets         

  Figure 52Figure 53  

(Fig.52) - La pointe des Trois-Pierres                            (Fig.53) - Le conglomérat lité

 Figure 54Figure 55

(Fig.54) - Sous le four à boulets                                (Fig.55) - Le conglomérat  

Station 9L’exportation des pavés

En 1906 la production de pavés atteint 90 000 tonnes alors qu’on en compte 850 000 en 1910. Les pavés taillés sur place ne sont pas la seule production des carrières. S’y ajoutent aussi les moellons, les bordures de trottoir, les linteaux et montants pour portes et fenêtres.

Les pavés sont exportés par caboteur vers les ports de la Manche et jusqu’à Paris.

Le denier bateau à vapeur transportant le grès s’appelait le Quartzite, allusion à la composition et à la dureté de la roche.

A cette époque la main d’œuvre afflue de la Bretagne intérieure ainsi que de l’Italie, du Portugal et de l’Espagne. Cet essor démographique sans précédent entraine la construction de logements ouvriers familiaux.

 Figure 56

(Fig.56) - Déchets de taille

Station 10Les déchets de taille

L’activité des carrières, pilotée par la « Société des Carrières de l’Ouest »,  fut à son apogée pendant près d’une trentaine d’années, entre 1900 et 1927, puis la production s’affaiblit progressivement, victime de la concurrence et du manque de mécanisation.

Les carrières industrielles qui s’étendent vers le cap d’Erquy entrainent la fermeture de la carrière de Maupas (les Lacs Bleus) dès 1914.

Du grès d’Erquy au grès de Fréhel… de cônes alluviaux … à des rivières

Au delà de la pointe des Trois-Pierres on entre dans le domaine du grès de Fréhel qui surmonte le grès d’Erquy et qui s’étend vers l’Est pratiquement jusqu’au Fort la Latte. Il constitue, entre autres, la belle anse de Port-Blanc (Fig.57) ornée du bâtiment en ruine du premier bateau de sauvetage d’Erquy protégé, « le vice-amiral Courbet ».

 Figure 57

(Fig.57) - L’Anse de Port Blanc

La bande herbacée qui recoupe le grès de Fréhel correspond au passage d’un filon de roche magmatique vert-noir proche du basalte, une dolérite.  Ce type de roche est fréquent dans le grand site naturel de Fréhel où il forme des lames de roche verticales plus ou moins puissantes (larges) à végétation souvent arbustive.

Figure 58 conesalluviaux

(Fig.58) - Schéma explicatif des différents faciès

La variété des faciès rencontrés depuis le port d’Erquy jusqu’au sommet de la pointe des Trois-Pierres, leur superposition, leur imbrication et leur géométrie proche de l’horizontale, sont caractéristiques des cônes alluviaux. Ces derniers se développent en domaine continental, en périphérie des reliefs en cours d’érosion où les blocs, les galets et graviers  grossiers transportés par des courants plus ou moins puissants  et des coulées de boues, viennent se déposer. Des périodes de calme temporaire y sont incluses. Au-dessus, les grès de Fréhel correspondent à des épisodes de rivières en tresse.

Photos en couleurs de l’auteur

Photos noir et blanc extraites de diverses publications

Jean Plaine, Mai 2022

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