Chroniques
Géologie et archéologie bretonne: Le Président de Robien (1698-1756), un précurseur au temps des Lumières
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Christophe-Paul de Robien, baron de Kaër et vicomte de Plaintel, Président à mortier au Parlement de Bretagne et membre de l'Académie des Sciences de Berlin fut, dans la Bretagne du siècle des Lumières, un historien, un naturaliste et un collectionneur dont la renommée dépassait largement les limites de la province. Le Président nous a laissé des collections et une bibliothèque fabuleuses qui ont constitué le noyau fondateur de la bibliothèque municipale et des musées de Rennes. Ses écrits sont peu nombreux mais il est l'auteur d'une monumentale "Description historique et géographique de la Bretagne", laissée inachevée à sa mort et qui a été éditée en 1974.
Découvreur et descripteur de monuments mégalithiques importants, tels que ceux de Locmariaquer (56) et de La Roche-aux-fées (35), il sera le premier à considérer les tumulus et les dolmens comme des tombeaux gaulois, rejetant ainsi l'attribution au romains couramment admise à l'époque
En 2001, G. Aubert a publié un ouvrage important qui a nourri le présent essai et qui nous permet d'avoir une vue d'ensemble de l'activité du Président et de la place qu'il a occupée parmi ses contemporains.
La famille de Robien
La famille de Robien a été représentée au Parlement de Bretagne de manière continue pendant 129 ans, soit 4 générations. L'entrée de la branche aînée des de Robien au Parlement de Bretagne, en 1655, marque le début d'une série où les Présidents à mortier se succèdent de père en fils..
Christophe-Paul de Robien est né au Château de Robien, près de Quintin (22) le 4 Novembre 1698. Nommé Conseiller au Parlement à 22 ans, il est Président à mortier en 1724
Les demeures les plus fréquentées par le Président restent le château familial de Robien, le château du Plessix de Kaër, près d'Auray et, surtout, son hôtel particulier, acheté en 1699 par son père. Situé rue aux foulons (actuellement rue Le Bastard). C'est au 3ème étage de cet hôtel que sera abritée la majeure partie des collections.
Les collections du Président de Robien
En 1756 , Christophe-Paul de Robien meurt à Rennes. Par son testament il lègue une partie de ses biens, dont ses collections, à son fils qui émigre en 1791. En application de la législation sur les biens des émigrés, les collections sont saisies et seuls les objets d'art et de sciences sont réservés, le reste étant vendu.
Les collections de Robien sont entreposées dans l'église de la Visitation en 1793. En novembre de la même année l'église de la Visitation est transformée en hôpital et les collections saisis chez les émigrés et dans divers couvents sont entassées dans les cellules et les couloirs du couvent des Carmélites. Propriété de l'Etat jusqu'en 1794, les collections des émigrés sont ensuite confiées aux administrations de districts qui procèdent aux inventaires. En 1805 la propriété des collections est transférée à la ville de Rennes. La bibliothèque du Président constituera le premier fonds de la Bibliothèque municipale.
Outre la rareté des sources utilisables, un certain nombre d'évènements rendent la reconstitution de l'état initial des collections du Président très mais c'est lors des multiples déplacements que de nombreuses pièces de la collection ont été perdues et dispersées (Tableau 1).
En 1841, les collections de géologie de la toute nouvelle Faculté des sciences de Rennes ont été constituées en partie sur la base d'un prélèvement sur les collections stockées, à cette époque, dans les greniers du Présidial (Hôtel de Ville). L'examen des inventaires disponibles montre très clairement que la majeure partie des pièces du cabinet a été transférée à la Faculté des sciences où elle s'est trouvée diluée, en particulier dans l'importante collection provenant du Muséum national. Les échantillons ont probablement été étiquetés, mais vraisemblablement sans mention de l'origine des fonds d'origine et, dans les collections actuelles de l'Université de Rennes1 il est impossible de les identifier.
Le reliquat du cabinet de Robien rejoint le Musée de géologie en 1870 et reste sans gestionnaire de 1876 à 1887, l'établissement étant privé de conservateur pendant toute cette période. T. Bézier, nommé conservateur en 1887, procède alors à l'étiquetage des pièces en mentionnant leur collection d'origine.
Pendant la seconde Guerre mondiale, après la destruction partielle et la fermeture du Musée de Rennes, les collections sont transférée à l'Institut de géologie. Actuellement les quelques rares pièces (moins d'une dizaine) provenant avec certitude du cabinet de Robien sont celles qui possèdent encore leur étiquette établie par T. Bézier, et celles qui ont été figurées par le Président.
Le nombre d'objet rassemblés dans le cabinet d'histoire naturelle du Président est estimé à plus de 7000 (Tableau 2). Ils s'agit essentiellement de fossiles au sens de l'époque, de végétaux et d'animaux .
Pour l'essentiel, les pièces du cabinet de Robien ont été acquises par le Président qui apparaît ainsi comme le seul "curieux" de la famille et l'un des rares du milieu parlementaire rennais. L'héritage de son père concerne surtout les livres, et les acquisitions de son fils, postérieurement à 1756, sont très modestes.
Les échantillons rassemblés dans le cabinet proviennent de toutes les contrées du Monde avec cependant une nette prédominance de l'Europe.
Les écrits scientifiques du Président de Robien
Les écrits scientifiques de Christophe-Paul de Robien sont très peu nombreux:
* Dissertation sur la formation de trois différentes espèces de pierres figurées qui se trouvent dans la Bretagne
* Nouvelles idées sur la formation des fossiles
* Description historique et géographique de la Bretagne.
Les deux premiers ouvrages ont été imprimés en 1751 en un seul volume de 155 pages. La Description…, inachevée en 1756 à la mort du Président, a été éditée en 1974.
La "Dissertation .....", très courte, est consacrée à l'identification des pierres ayant servi à la construction d'un manoir près de Rennes et à la description de la chiastolithe des Salles de Rohan (56) et de la staurotide de Baud (56). Le Président a été frappé par la ressemblance des sections de chiastolithe avec les figures du blason des Rohan et utilise le terme de mâcle.
Les "Nouvelles idées...." sont beaucoup plus ambitieuses et s'appuient sur l'étude des très nombreuses pièces de la collection. Le Président présente une classification du monde minéral qui n'est que le prélude à la partie la plus importante de l'ouvrage, consacrée à l'histoire de la planète.
Prudemment, le problème de l'âge de la Terre n'est pas abordé et la Bible reste la référence incontournable en ce qui concerne la naissance de la planète. Le Déluge est tenu pour responsable de l'empilement des couches de sédiments et les montagnes sont le résultats de la colère divine. Le Président prend par contre ses distances avec ce qui est encore, en ce milieu de XVIIIe siècle, la position officielle de l'église. C'est ainsi qu'il place le soleil au centre de l'Univers et considère, comme Fontenelle, que les planètes ont pu être habitées et le sont peut être encore.
La " Description ....." a, semble-t-il, été rédigée en plusieurs étapes, mais la majeure partie du travail date de la période 1727-1737. Le texte a été repris et complété en 1754 et 1755 et la préface est datée de 1751.
Seule la 3e partie, Description historique et naturelle de la province de Bretagne est presqu'entièrement originale et constitue la première histoire naturelle de Bretagne et l'une des premières du Royaume
Sans faire un inventaire précis des différents thèmes abordés dans la " Description... " on peut cependant retenir quelques traits marquants :
* les illustrations sont abondantes et sont, pour une certaine part, de la main du Président ;
* parmi ces illustrations on doit souligner la présence d'une Carte des fossiles de Bretagne . qui doit être considérée comme la première carte minéralogique de Bretagne ;
* le Président réfute l'idée, classique à l'époque, que les haches en pierre polie puissent être des " pierres de tonnerre" " et les considère comme des outils des anciens gaulois ;
* de Robien fait, pour la première fois, dessiner tous les vestiges mégalithiques visibles et les reporte avec beaucoup de précision. Il s'intéresse aux tumulus et refuse d'y voir des ruines de châteaux forts ou de constructions militaires de César. La présence, dans la région, de nombreux menhirs, le conduit à comparer tous ces vestiges avec ceux laissés ailleurs en Europe par les barbares du Nord. et à les attribuer aux gaulois, les tumulus étant interprétés comme des tombeaux.
Le 20 Février 1755, le Président de Robien devient membre externe de l'Académie de Berlin où il se retrouve en compagnie de français illustres comme d'Alembert, Bernouilli, Maupertuis et Voltaire ; il meurt à Rennes le 5 Juin.
Le naturaliste
Dès 1857, on reconnaît que cette partie de l'œuvre de Ch.-P. de Robien est largement dépassée. Toutefois, la mémoire du Président reste très vive au sein du Musée d'histoire naturelle. La destruction partielle du Musée pendant la seconde Guerre mondiale est suivie par sa fermeture définitive et la partie préservée des collections est récupérée par l'Université.
L'archéologue
Les travaux du Président de Robien sont devenus très vite une référence incontournable en matière d'archéologie. En 1870, le fonds de Robien a constitué le noyau initial du Musée d'archéologie avec, entre autres, la première collection de haches en bronze jamais réunie dans la province. Il faut en particulier rappeler que le Président est le premier à avoir établi le caractère funéraire des tumulus et des dolmens et à avoir retiré aux romains la paternité des monuments mégalithiques pour l'attribuer aux Celtes.
Au terme de cet examen rapide de la carrière de Christophe-Paul de Robien, le Président à mortier du Parlement de Rennes nous apparaît comme un "curieux" et un authentique savant des Lumières, issu de la noblesse parlementaire de province. Certes, la renommée de Christophe-Paul de Robien ne dépasse guère Rennes et la Bretagne mais, dans ces limites, et pour reprendre une expression de G. Aubert, le Président fait figure de "monument historique régional ".
Références
Aubert G. - 2001 -Le Président de Robien, gentilhomme et savant dans la Bretagne des Lumières. Collection Art et Société. Presses universitaires de Rennes. 396 pages.