Chroniques
Le baron et la baronne de Beausoleil
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Au début du XVIIe siècle, le baron de Beausoleil, Conseiller et Commissaire des Mines de Hongrie, s'est vu confier, à plusieurs reprises, des missions officielles en France, afin de procéder à diverses recherches dans le but d'établir un état des ressources minières du royaume. Les résultats des travaux conduits en France par le baron et son épouse nous sont connus par plusieurs publications reproduites dans l'ouvrage de Gobet (Les Anciens Minéralogistes du Royaume de France) édité en 1779 : le Diorissimus de materia prima lapidis (1627), la Véritable déclaration de la découverte des Mines et Minières de France (1632) et surtout la Restitution de Pluton, éditée à Paris en 1640, et qui pose quelques problèmes. En effet si l'édition de 1640 ne cite que deux mines en Bretagne " une mine d'améthiste, proche de la ville de Lannion, comme aussi une mine d'argent ", le texte publié par Gobet donne une liste impressionnante de gisements. Or Gobet dit avoir ajouté au texte de la baronne de Beausoleil un manuscrit que lui avait communiqué le minéralogiste français Romé de Lisle vers 1778, qui le tenait lui-même d'un médecin breton, Monsieur de la Rüe. Divers indices tendent à montrer que la partie ajoutée par Gobet au texte original de la Restitution est probablement dûe aux Beausoleil et qu'elle correspond à l'un des manuscrits perdus par les Beausoleil lors de leur séjour mouvementé en Bretagne.
Quelques éléments de biographie
Jean du Chastelet est né dans le Brabant aux alentours de 1578; il est baron de Beausoleil et d'Auffembach et a épousé Martine de Bertereau, originaire du Berry ou peut être de Touraine. Le couple a, semble-t-il, consacré l'essentiel de son activité aux travaux miniers, domaine dans lequel le baron de Beausoleil a occupé divers postes importants: Conseiller et Commissaire général des trois chambres des mines de Hongrie, Général des mines du Tyrol et du Trentin ainsi que des duchés de Bavière de Neubourg et de Clèves.
En France, l'exploitation des mines a très nettement régressé au cours du Moyen âge et les quelques entreprises survivantes ont disparu vers la fin du XVe siècle, suite, d'une part, à l'apport de métaux précieux en provenance d'Amérique et, d'autre part, aux conditions très instables créées par les guerres d'Italie et par les guerres de Religion. Henri IV n'a cependant pas oublié le passé minier du Royaume et, en 1601, il nomme son premier valet de chambre, Pierre de Beringhen, Contrôleur général des mines. C'est le nouveau Contrôleur général qui, au début des années 1600, fait venir en France les époux Beausoleil, à une date qui ne nous est pas connue de manière précise. En 1626, le marquis d'Effiat, successeur de Beringhen, les sollicite de nouveau et le baron reçoit une commission " pour se rendre dans les provinces afin d'ouvrir des mines, en faire des essais et donner des avis fidèles avant de statuer sur ce qui serait convenable pour les affaires de Sa Majesté ". Après être retournés en Allemagne auprès de l'Empereur Ferdinand, les époux Beausoleil, sont rappelés en 1628 et reviennent en France en compagnie de mineurs et de fondeurs allemands. Enfin, en 1634, le baron de Beausoleil, Conseiller d'Etat de l'Empire, se voit confier une nouvelle mission par le Surintendant général des Mines, Monsieur de la Porte de la Meilleraye. Durant cinq ou six ans, le couple travaille dans plusieurs provinces et demande diverses concessions au Conseil du Roy. La décision est retardée à plusieurs reprises et, en 1640, la baronne publie, en tête de la Restitution de Pluton, une requête adressée au cardinal de Richelieu qui, pensant avoir affaire à des aventuriers, fait enfermer le baron à la Bastille et la baronne à Vincennes, où, semble-t-il, ils achevèreront leurs pérégrinations.
Les Beausoleil constituent un couple tout à fait remarquable et, sur la base des droits qui leurs ont été concédés, c'est sur leurs propres deniers que toutes leurs prospections ont été conduites. Les méthodes de prospection employées, telles qu'elles sont décrites dans la Restitution de Pluton, ont un parfum d'alchimie et d'astrologie comme chez tous les métallurgistes de l'époque. Compte tenu des résultats obtenus, on peut cependant penser que la baronne ne nous livre pas tout son savoir et que les connaissances du couple, acquises " sur le tas " lors de leurs inspections dans les mines d'Europe, étaient sensiblement supérieures à celles de la majorité de leurs contemporains.
Le séjour en Bretagne
La commission de recherche minière des époux Beausoleil a été enregistrée au Parlement de Bretagne en 1627 et l'essentiel de leur activité dans la Province correspond à l'année 1628. Si on en croit le manuscrit transmis par le docteur de la Rüe et reproduit par Gobet, environ 80 indices métallifères ont été mis en évidence.
Ag Pb Pb/Ag Au Cu Fe Sn
Evêché de Rennes 2 1 1 1 1
Evêché de St Brieuc 1 1
Evêché de St Malo 1 1 1
Evêché de Vannes 1 1 1
Evêché de Quimper 16 2 4 4 5 1 1
Evêché de St Pol de Léon 2 2 1
Evêché de Tréguier 9 9 1 6 3 1
Les mines signalées dans les évêchés bretons
(d'après la liste publiée par Gobet en 1779)
Durant la période (plus d'un siècle) qui s'est écoulée jusqu'à la redécouverte de ce texte en 1778, le manuscrit a circulé et quand, au début du XVIIIe siècle, la question des ressources minières a de nouveau pris de l'importance, il a vraisemblablement servi de base pour les campagnes de prospection qui ont abouti à la mise en exploitation de grands gisements tels que Pont-Péan (35), Châtelaudren/Trémuson (22) ou Coat-an-Noz (29).
En Bretagne, parmi les divers lieux de séjour des époux Beausoleil, seul celui de Morlaix nous est connu. A l'époque les chercheurs de mines avaient une réputation sulfureuse et l'on avait vite fait de les taxer de sorcellerie. Les bretons ne faisant pas exception à la règle générale, le baron, la baronne et leur suite sont regardés d'un mauvais œil, en particulier par La Touche Grippé, Prévôt provincial. Le Prévôt usant de son pouvoir de police et s'appuyant sur l'hostilité de ses concitoyens envers les Beausoleil, profite de leur absence pour se faire ouvrir les portes de la maison en présence du Procureur du Roi, pour perquisitionner et pour confisquer les bijoux de la baronne, les échantillons de minerais, divers papiers dont " les mémoires des lieux où ils avaient trouvé des minéraux, épreuves qu'ils en avaient faites , instruments pour découvrir les mines ". A leur retour les époux Beausoleil ne peuvent que constater les faits et protester énergiquement mais inutilement. Le baron et son épouse regagnent alors l'Allemagne et ne reviennent en France qu'en 1630. En 1632 la baronne de Beausoleil fait paraître la Véritable déclaration des Mines du Royaume de France où elle rappelle qu'elle a " été dépouillée d'une grande partie de [ses] biens par La Touche Grippé ". Malgré ses protestations, répétées en 1640 dans La Restitution de Pluton, elle n'obtiendra jamais gain de cause et ayant encouru l'hostilité du tout puissant Cardinal Duc Richelieu, elle achèvera son séjour en France dans un cachot à Vincennes, son époux subissant le même sort à la Bastille.
Quelques lectures possibles:
Martine de Bertereau, Baronne de Beausoleil - 1640 - La Restitution de Pluton. A Monseigneur l'éminentissime Cardinal Duc de Richelieu. Des Mines & Minières de France, cachées & détenues jusques à présent au ventre de la terre, par le moyen desquelles les Finances de sa Majesté seront beaucoup plus garndes que celles de tous les Princes Chrestiens, & ses sujets plus heureux de tous les Peuples. Paris, Hervé du Mesnil.
A. Descoqs - 1920 - La Bretagne minière et les prospections du Baron et de la Baronne de Beausoleil. Bulletin de la Société géologique et minéralogique de Bretagne, 1, 4:227-239.
P. Routhier - 1987 - Deux mineurs spoliés et emprisonnés ou " la Restitution de Pluton " (1640) par Madame la Baronne de Beausoleil. Travaux du Comité français d'Histoire de la Géologie, t.1, n°1: 1-8.
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