Landévennec (29)
La sortie du 12.03.2005 à Landévennec, Finistère
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La rade de Brest est riche en sites géologiques réputés. Elle possède également un patrimoine beaucoup moins connu mais surtout plus rare dans l’Ouest de la France, à savoir de nombreux cordons littoraux dont la liste et la description ont été données dès 1957 par le géographe André Guilcher.
Sous cette dénomination de cordons littoraux sont englobées toutes les plages qui ont la particularité de ne pas être adossées à la côte.
Elles sont nombreuses dans la rade, ces formations résultant toujours de dépôts sédimentaires volumineux dans des secteurs de diminution de l’énergie des vagues.
En général présentes sur des littoraux exposés aux grandes houles venues du large, celles qui sont reconnues dans la rade ne répondent pas à ce schéma. Deux facteurs favorisent leur existence : d’une part l’extrême découpage du trait de côte où, sur de faibles distances, se succèdent pointes rocheuses et profondes rias donc secteurs d’érosion et de dépôt, d’autre part l’abondance du matériel sédimentaire mis à la disposition des vagues.
Dans la rade en effet, les vagues sont particulièrement efficaces pour éroder les sédiments meubles que l’on trouve en haut de l’estran et qui sont du head périglaciaire issu de la gélifraction et de la gélifluxion des versants rocheux au cours du Pléistocène.
Faisant suite à une série de présentations de ces particularités géomorphologiques la veille à Argol, complétée par l’analyse d’un premier site à Logonna-Daoulas, la sortie de ce jour avait pour objet la visite, au cours de la matinée, d’un deuxième site du sud de la Rade, l’anse du Loc’h à Landévennec (Fig.1)
Fig.1- Situation géographique de l’anse du Loc’h dans la rade de Brest
Les grains du matin n’ont pas rebuté la quinzaine de personnes venues découvrir les cordons littoraux de l’anse du Loc’h, situés à la limite des communes de Landévennec et d’Argol.
Pour remonter à l’histoire de la formation de ces cordons, il faut se diriger à l’Ouest sur l’estran afin de connaître l’origine des cailloutis qui constituent la flèche actuelle et comprendre comment ils ont pu s’accumuler dans cet endroit.
La falaise rocheuse y apparaît constituée d’une alternance de couches de grès et de couches de schistes d’épaisseur décimétrique souvent verticales et déformées par des plis disharmoniques dont les charnières sont fort bien visibles; les bancs de grès, souvent quartzitiques, sont en relief par rapport aux niveaux schisteux.
Cet ensemble appartient à la formation dévonienne des Schistes et quartzites de Plougastel. Il est à priori susceptible d’avoir fourni des fragments rocheux, mais l’énergie des vagues est insuffisante pour efficacement éroder ces roches.
Par contre, au-delà de cette pointe, la grève suivante montre une haute falaise constituée de sédiments quaternaires meubles périglaciaires appelés head; il s’agit de coulées à blocs à matériel très hétérométrique constitué d’une matrice argileuse qui englobe en proportions variables des graviers, cailloux et blocs. Compte tenu du pendage des couches du socle sous-jacent et au gré des alternances journalières et saisonnières gel-dégel ce matériel a pu descendre jusqu’à l’estran; là il a livré aux marées et aux houles de tempête des fragments rocheux parmi lesquels les plus lourds sont restés sur place tandis que les plus légers (cailloux, graviers), entraînés dans la dérive littorale, ont été transportés au delà des pointes rocheuses. Là, dès qu’un abri s’est présenté, il y a eu dépôt en masse.
Ce phénomène se poursuit aujourd’hui comme le montrent les fragments rocheux triés et accumulés sur l’estran derrière la pointe rocheuse lorsqu’on revient vers le Loc’h .
Il faut dire que l’érosion est loin d’entraîner, comme on pourrait le penser, la régularisation du rivage mais bien au contraire puisqu’elle agit plus sur les zones constituées de head en les creusant que sur les zones dures.
Dans certains cas, le fluage a organisé les dépôts en couches de nature et de granulométrie différentes qui ont pu se voir cimentées par la précipitation d’oxydes (de manganèse en particulier) et donner aujourd’hui une formation géologique appelée grèze litée dont on a un exemple très spectaculaire en cet endroit. Il s’agit d’un type de formation fréquente en domaine périglaciaire que l’on trouve en plusieurs endroits de la rade mais qui demeurent exceptionnels en Bretagne.
Les cordons se situent au débouché de la profonde vallée du Loc’h qui incise la formation des Schistes et quartzites de Plougastel sur le versant sud de la rade de Brest. Une double flèche de galets isole de la mer un petit marais maritime (Fig.2).
La flèche interne qui s’enracine à l’Est n’est plus active tandis que la flèche externe accrochée à l’Ouest est fonctionnelle et domine la première de plus d’un mètre. Cet ensemble réalise ainsi un système en chicane souvent considéré comme d’origine unique mais aujourd’hui il est clair qu’il s’agit de deux cordons superposés, la flèche externe s’étant développée sur une flèche interne plus ancienne également ancrée à l’Ouest.
Il faut noter qu’une autre vallée, à l’Est, celle du ruisseau du Bois du Loc’h, aboutit également dans l’anse.

Fig.2- Les flèches du Loc’h à Landévennec (d’après Stéphan et al., 2005)
Pour gagner la mer, le ruisseau du moulin du Loc’h adoptait à l’origine un tracé en baïonnette, venant dans la partie occidentale de l’étang buter contre le sillon le plus récent pour partir vers l’Est et déboucher sur le rivage à son extrémité orientale. Ce dispositif a été plusieurs fois modifié par l’ouverture, lors de marées importantes ou de tempêtes, de brèches dans la flèche externe.
En 1993, lors de la « marée du siècle », une nouvelle rupture intervient favorisant la vidange totale du marais et son assèchement. Au début de 1994 des travaux de colmatage et de reprofilage du cordon sont entrepris, mais les conditions du fonctionnement hydrodynamique du secteur sont profondément modifiées.
En Décembre 2003 un épisode pluvieux entraîne l’ouverture d’une brèche dans la flèche interne pratiquement au milieu de sa longueur ; empruntée par les courants de marée, elle s’élargit rapidement et entaille le cordon interne sur près de 4 mètres.
L’ancien chenal d’évacuation situé entre les deux cordons est abandonné, de nouveaux chenaux creusent facilement le matériel sablo-vaseux de l’étang du Loc’h, tandis que les courants de vidange qui s’échappent de l’étang à marée descendante sont contraints de décrire un coude au sortir de la brèche.
Ceci a pour effet d’entraîner la sape du revers de la flèche externe qui perd ainsi du matériel et qui amène sa fragilisation.
La flèche interne entièrement colonisée par une végétation de plantes halophites (Obione), est une construction fossile composite comme on peut le voir au long du chenal de vidange en regardant côté étang ; les niveaux supérieurs sont constitués de fragments rocheux, souvent anguleux, englobés dans matrice sablo-limoneuse beige à ocre ce qui laisse supposer qu’ils ont été pendant un long moment soustraits à l’influence marine et que le cordon s’est mis en place avant la dernière période glaciaire. Sous ces niveaux et au fond du chenal apparaissent des argiles ocres qui contiennent des amas de tourbe.
Ces argiles s’observent également côté mer où elles forment le soubassement de la flèche externe sur quelques dizaines de centimètres d’épaisseur.
La flèche externe est un édifice actif soumis à l’action des vagues et seule sa crête porte quelques touffes de végétation. Il s’agit d’une construction postglaciaire, édifiée à partir du moment où la mer est remontée à son niveau actuel.
Il résulte, comme la flèche interne, d’une accumulation de débris fournis par une dérive littorale d’orientation ouest-est tendant à barrer la vallée du Loc’h. Née plus en avant, elle recule de façon permanente, chevauchant l’édifice ancien. Les matériaux constitutifs sont d’origine locale comme on l’a évoqué précédemment mais on remarque aussi la présence d’éléments allochtones d’origine plus lointaine.
Le surcreusement du chenal, suite à l’ouverture de la brèche, déstabilise la partie distale de cette flèche qui s’érode rapidement sous l’action d’un fort courant de vidange.
Le sommet de la flèche externe subit également un creusement essentiellement sous l’action des vagues de tempête. Sa largeur apparaît extrêmement réduite notamment au niveau de son point d’ancrage.
Comme on le voit, l’ensemble du secteur connaît aujourd’hui un appauvrissement progressif en sédiments ; la flèche externe est menacée de rupture et les galets transportés vers le bas de la plage ne pourront pas être remontés par les vagues de la rade. Cet appauvrissement est naturel, l’érosion a largement dégagé les formations meubles périglaciaires, l’alimentation du cordon ne peut plus être assurée et il est clair que sa permanence est problématique si aucune intervention humaine n’est rapidement engagée.
Il s’agit pourtant d’un remarquable patrimoine géomorphologique qui se double d’un intérêt biologique puisqu’il protège de l’action de la mer un environnement d’une grande richesse floristique et faunistique.
Texte et clichés : Jean Plaine
Bibliographie
GUILCHER A., VALLANTIN P., ANGRAND J.-P., GALLOY P. 1957- Les cordons litoraux de la rade de Brest, Bull.Com.Oc.Et.Côtes,9,21-54.
HALLEGOUËT B., MOREL V. 1994- Flèches en chicanes. Evolution du complexe du Loc’h en rade de Brest, Penn ar Bed,152,20-31.
MOREL V. 1993- Méthode d’étude de protection naturelle du littoral par les cordons de galets en rade de Brest (le Loc’h de Landévennec, le Sillon des Anglais, le Pal, le sillon de l’Auberlac’h), Mémoire DEA de géographie,Université de Brest,80p.
STEPHAN P. 2004- Quelques données nouvelles sur la dynamique morphosédimentaire des cordons littoraux de la rade de Brest, les sillons d’Aod ar Mengleuz (Logonna-Daoulas) et du Loc’h (Landévennec), Mémoire DEA Géographie,UBO,274p.
STEPHAN P., FICHAUT B., SUANEZ S. 2005- L’érosion des cordons littoraux de Mengleuz et du Loc’h de Landévennec en Rade de Brest : évolution récente et actuelle, Bull.Soc.géol.minéral.Bretagne,D,2,1-19.