Volcans en Crozon (29)

La sortie du 7.10.2006 à Crozon

                                     

Le volcanisme de la presqu’île de Crozon


Sortie animée par Martial Caroff (Université de Bretagne Occidentale, Brest)
      

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A l’invitation de notre association, un peu plus d’une soixantaine de personnes se sont retrouvées au rendez-vous de Tal-ar-Groas, désormais habituel lorsqu’il s’agit d’une sortie dans la presqu’île de Crozon, pour une journée consacrée à la présentation de son volcanisme paléozoïque.
Des études récentes, bouleversant quelque peu les conceptions anciennes, montrent que les affleurements ordoviciens souvent visités des falaises de la presqu’île offrent une remarquable variété de produits volcaniques mis en place en milieu sous-marin peu profond. Parmi ces affleurements, ceux de l’Aber-Raguenez et ceux de Lostmarc’h-Porzig, particulièrement démonstratifs, ont été retenus pour cette sortie.

>> Une étude complète de ce volcanisme (Juteau et al.) fera l’objet d’un long article très documenté dans un prochain bulletin de la Sgmb.

Présentation

La presqu'île est constituée de deux unités tectoniques, dites "Unité de Crozon Nord" et "Unité de Crozon Sud". Ces deux unités se sont vraisemblablement juxtaposées lors de l'orogenèse hercynienne, par l'intermédiaire d'accidents tectoniques de type coulissage et/ou charriage, le contact se faisant suivant un grand accident chevauchant allant de Lostmarc'h à Châteaulin, l'unité "Crozon Nord" chevauchant l'unité "Crozon Sud". Ce chevauchement est aujourd’hui connu sous le nom de "cicatrice Crozon Nord - Crozon Sud " (Rolet et al., 1984).
Ce contact est jalonné sur toute sa longueur par des écailles de roches volcaniques et de roches microgrenues basiques qui appartiennent à l'Unité de Crozon Sud.
Le volcanisme apparaît donc limité à la série Crozon-Sud dont il constitue la principale originalité. Il y apparaît en affleurements discontinus, tectonisés et écaillés, alignés parallèlement au contact anormal qui sépare les deux unités (Fig.1).

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Figure 1- Situation des deux unités de Crozon Nord et de Crozon Sud et de l’accident tectonique chevauchant qui les sépare (d’après Rolet et al. 1984)

Historique

La mise en évidence de ce volcanisme ordovicien en presqu’île de Crozon est due à Charles Barrois qui en a donné une première description en 1889, dans un mémoire quelque peu malencontreusement intitulé “ sur les éruptions diabasiques siluriennes du Menez-Hom ”. Ce relief de grès armoricain qui en impose à l’entrée de la presqu’île n’a en effet rien d’un volcan, les formations éruptives se trouvant en contrebas du sommet, le long de l’Aulne (Trégarvan).
A la suite de Barrois, Lucas (1938) a étudié le complexe intrusif de l'Ile de l'Aber et de Raguenez, et il revint à son élève Fourmond (1964) d'avoir su identifier à la Pointe de Lostmarc'h un volcanisme sous-marin comportant des coulées à débit en pillow-lavas, et d'avoir réalisé la première étude de terrain précise de la pointe de Kerdreux. Par la suite Maillet (1977) et Cabanis (1986) ont étudié la géochimie des volcanites de Crozon pour en donner les caractéristiques principales.
Depuis le début des années 2000, une série de mémoires de Maîtrise en Sciences de la Terre de l'Université de Bretagne Occidentale apporte de nombreuses descriptions nouvelles sur les roches volcaniques et sub-volcaniques sous-marines d'âge ordovicien exposées dans les falaises de la presqu'île.

Les différents arrêts (Fig.2)

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Figure 2- Carte de la presqu’île avec emplacement des différents arrêts

A partir de Tal-ar-Groas descendre au sud vers le site de l’Aber. Juste après le franchissement de la rivière stationner à gauche.

Arrêt n°1- Le Four à Chaux de Rozan- l’Aber (Crozon)

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Les premiers affleurements, juste au-dessus de la zone de stationnement, montrent des carbonates tandis qu’à l’ouest, plus près du four à chaux, dans une ancienne carrière, sont visibles des schistes et des calcaires accompagnés de manifestations volcaniques basiques d’affinité basaltique.
Celles-ci forment ici une coulée d’environ 5 mètres de puissance dont le débit en coussins (pillow-lava) est caractéristique d’un épanchement en milieu aqueux, sans doute marin.

 

Les coussins de lave sont de grande taille (60cm à 1,20m) ; ils s’organisent sur plusieurs niveaux qui correspondent à des venues successives. Ils sont cimentés par des calcaires bioclastiques et des sédiments à forte composante volcanique : tuffites et épiclastites. Ils sont fortement altérés, mais on y reconnaît la bordure vitreuse et de nombreuses vacuoles disposées à leur périphérie.
A la cassure, on observe une roche de couleur sombre (mésocrate), parcourue de veines de calcite mises en place dans les fractures, riche en vacuoles remplies de calcite ou d’argile. La texture est isotrope microlitique, vacuolaire, riche en verre ; les plagioclases, par leurs terminaisons bifides, traduisent le refroidissement très rapide de la lave par phénomène de trempe dans l’eau de mer. Quelques fantômes de minéraux colorés (olivine et pyroxène) sont reconnaissables.

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Le débit en coussins et la présence de calcaires francs associés traduisent une mise en place dans un environnement marin carbonaté.
Cet ensemble appartient à la Formation des Schistes et Calcaires de Rosan dont l’âge est Ordovicien supérieur, la base de la coupe se plaçant dans le Caradoc supérieur tandis que son sommet appartient à l’Hirnantien (anciennement Ashgill pro parte).
Les carbonates ont été largement exploités pour la fabrication de la chaux, ce qui explique l’implantation ici d’un four à chaux édifié en 1839.

Poursuivre sur une centaine de mètres vers le sud pour rejoindre le parking du site de l’Aber.
A pied, prendre le sentier qui longe le littoral en direction de l’Île de l’Aber et de la Pointe de Raguenez.

Arrêt n°2- Pointe de Raguenez (Crozon)

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La partie basse de l’estran montre des grès fins et des schistes qui correspondent à la Formation des Grès de Kermeur datée à 450 millions d’années (Caradoc).
Ces sédiments sont accompagnés de filons plurimétriques (au nombre de trois) d’une roche de couleur beige de nature basaltique (dolérite ou diabase) assez aisément identifiables parce qu’ils sont mis en relief par l’érosion.

Ces filons sont souvent très riches en petites vacuoles plurimillimétriques de couleur sombre, arrondies ou fluidales, parfois organisées en essaims. Sous le microscope, elles apparaissent constituées de produits secondaires.
Leur origine et leur mode de formation ne sont pas encore aujourd’hui clairement expliqués (bulles de dégazage ?).
Par définition intrusifs, ces filons sont clairement parallèles à la stratification des grès ou des schistes. Ils correspondent donc à des sills (= filons-couches).
L’étude du contact entre ces sills et les sédiments permet d’intéressantes observations: il est souvent lobé, en “ doigts de gant ” ; on y trouve parfois des vésicules en tubes (" pipe vesicles ") développées dans le magma, perpendiculairement au contact, voire même de "mini-pillows" sphériques avec hyaloclastites à l'extrémité de certains d’entre eux. Tous les sills ont des bordures figées et des amygdales.
L’ensemble de ces observations converge pour affirmer que ces intrusions basaltiques se sont mises en place alors que les sédiments étaient encore meubles et passablement gorgés d’eau.

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Au-dessus d’un niveau de calcaire fossilifère, de 2 mètres d’épaisseur, véritable “ bouillie ” à bryozoaires et crinoïdes, on reconnaît la Formation des Tufs et Calcaires de Rosan dans des brèches volcaniques qui constituent le haut de l’estran et la petite falaise. La coloration générale de la formation est ocre à brunâtre.

Ce sont des brèches pyroclastiques, localement bien structurées, avec des alternances de lits fins, parfois à litages obliques, et de bancs plus grossiers, parfois lenticulaires, parfois plus chaotiques, qui contiennent une grande quantité de ponces de teinte blanchâtre dont la taille varie de celle du lapilli (2 mm à 64 mm) à celle de la bombe (supérieure à 64 mm). Les bombes sont souvent pluridécimétriques (jusqu'à 40 cm). Les figures d’impact ne sont pas rares.
Ces blocs majoritairement anguleux, de couleur claire, en général très vacuolaires, fortement altérés, et qui ont longtemps été considérés comme de nature acide, sont en fait de la lave basaltique fortement dévitrifiée et secondairement silicifiée comme l’indiquent les analyses chimiques confortées par les observations en lames-minces dans lesquelles on discerne des fantômes d’olivine et de pyroxène (Lamour, 2000 ; Nonotte, 2002).
La matrice contenant ces ponces est un verre volcanique chloriteux brun-verdâtre, dévitrifié et recristallisé. Il renferme une grande quantité de fragments anguleux noirs fluidaux (anciens clastes vitreux) et des fragments clairs lithiques de lapillis arrondis à texture microlitique. Cette matrice correspond à la définition d’une hyaloclastite.

Au-dessus, la série de brèches pyroclastiques à ponces claires se poursuit, avec quelques puissantes lentilles de brèches à ponces chaotiques, dépourvues de toute stratification, et recoupées par quelques sills de lave basique sombre à bordures lobées.

Toutes ces brèches apparaissent primaires, non remaniées.

Ainsi, les formations volcanoclastiques de l’Aber s’avèrent être des roches pyroclastiques générées par des explosions phréatiques ou phréato-magmatiques, issues de l’interaction entre un magma basaltique et l’eau.

La dernière partie de la séquence montre des tuffites et des cinérites bien litées, bimodales, avec de plus en plus de fragments de lave noire basaltique à contours déchiquetés qui deviennent prépondérants par rapport aux ponces de couleur claire. La plupart des lits ponceux montrent un granoclassement inverse, et chaque banc à granoclassement inverse est suivi par un banc beaucoup moins épais de cinérites finement stratifiées. Ce type de succession, entre des unités ponceuses à granoclassement inverse (tufs à lapillis) et des unités cinéritiques primaires, est caractéristique des dépôts dus à des coulées pyroclastiques en milieu sub-aquatique.

On peut alors envisager l’existence d’un magma basaltique relativement visqueux et très riche en gaz pour expliquer les deux types de pyroclastes que l’on rencontre dans la série volcano-sédimentaire: ponces claires vacuolaires et lapillis vitreux noirs de forme fluide. Lors de son arrivée en surface, le magma vaporise l’eau contenue dans les sédiments, ce qui provoque des explosions extrêmement violentes. Le magma, sous la pression du gaz qui se détend brutalement, va se fragmenter et des ponces basaltiques très vésiculées vont alors être formées. Les petits lapillis vitreux peuvent avoir deux origines: fragments pauvres en gaz car ayant une origine plus profonde dans le réservoir, ou bien, et c’est plus probable, fragments de lave pulvérisés par les explosions très puissantes caractéristiques d’une éruption phréato-magmatique. Nous serions donc en présence d’éruptions sous-marines explosives violentes sous faible tranche d’eau, de type surtseyen.

Le dynamisme surtseyen, mis en évidence à Surtsey, une île volcanique née il y a plusieurs dizaines d’années au large de l’Islande, est caractéristique des éruptions sous-marines de faible profondeur. Le magma chaud se retrouve au contact de l'eau et les gaz qu'il renferme se libèrent dans un bouillonnement. Ce contact avec l'eau engendre de violentes explosions. Généralement, la lave émise est réduite en cendres. Gorgées d'eau, ces cendres sont projetées dans des panaches en forme de cyprès particulièrement noirs.

En remontant le cours de l’Aber, en direction de la route côtière, on trouve un filon de quartz accompagné de jaspes et de minerai de fer carbonaté altéré en limonite.
Il n’est pas impossible que cet accident siliceux ait une relation avec l’épisode de silicification (hydrothermale ?) des ponces contenues dans les brèches pyroclastiques.

Remonter vers le rond-point de Tal-ar-Groas pour prendre à gauche la direction de Crozon.
Contourner par le nord le centre de la ville en direction de Camaret-sur-Mer. Dépasser la route qui part à droite vers Roscanvel et, au carrefour suivant, tourner à gauche en direction du centre-ville et de Morgat.
Au rond-point suivant prendre immédiatement sur la droite la première route (D 308) en direction de la Pointe de Dinan.
Après environ 4 kilomètres, aller à gauche.
Laisser sur la droite le village de Tromel et, au carrefour suivant, partir à droite vers Kernaléguen. Traverser ce village pour aller vers Lostmarc’h tout en restant sur la ligne de crête. Stationner juste avant les premières maisons du village.
A pied, traverser Lostmarc’h pour prendre le chemin qui descend vers la pointe.
Franchir les deux talus de l’éperon barré, rejoindre la ruine.

Arrêt n°3- Pointe de Lostmarc’h (Kastell Lostmarc’h) (Crozon)

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La pointe de Lostmarc’h est limitée au nord et au sud par deux éperons rocheux séparés par une profonde échancrure constamment soumis aux assauts des vagues.
Toute cette zone est tectoniquement complexe, parcourue par de nombreuses failles est-ouest chevauchantes vers le sud, qui affectent à la fois la formation ordovicienne des Tufs et Calcaires de Rosan et des formations siluriennes schisteuses à dominante ampéliteuse.
On y distingue classiquement trois compartiments de roches volcaniques : éperon sud, zone centrale, éperon nord. Il faut y ajouter un quatrième compartiment au sud de l’éperon sud, reconnu il y a quelques années.

L’éperon nord, seul visité en cette journée, et dont l’accès peut se révéler délicat, est formé, sur une épaisseur de 15 mètres, par un spectaculaire empilement de pillow-lavas fort bien exposé au sud, qui constitue la célébrité géologique du site. Il est surmonté par des brèches de diverses natures : autoclastiques, pyroclastiques,...
La coulée de nature basaltique (lave sombre et fluide) offre un débit en masses arrondies pluridécimétriques qui se moulent plus ou moins étroitement les unes sur les autres ou bien sont cimentées par un calcaire blanc qui les met particulièrement bien en évidence. Les pillows en forme de tubes indiquent une polarité vers le nord.

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Cette architecture, bien différente du classique débit en prismes que l’on observe dans les coulées aériennes et qui traduit une cristallisation lente du magma est liée, au contraire, à un refroidissement rapide de la lave en milieu aquatique, véritable trempe du basalte au contact de l’eau de mer.
A la base de la coulée, les espaces entre les coussins sont remplis d’un abondant ciment calcaire blanc recristallisé, et la lave, chargée de bulles de calcite, contient de nombreuses enclaves carbonatées. Plus on va vers le nord de l'éperon, plus cette matrice se raréfie, et la lave aphanitique est complètement dépourvue d'enclaves et de bulles de calcite. Là encore, on peut penser que cette coulée sous-marine s'est répandue sur un fond marin formé d'une boue carbonatée non consolidée qu'elle a remis en suspension. La lave a englobé des fragments de calcaire et le fin sédiment calcaire s'est redéposé dans tous les interstices de la coulée. D'autres pillow-lavas sont venus ensuite par-dessus les premiers, qui n'ont pas été en contact direct avec les sédiments et n'ont donc pas été "contaminés". Ils se moulent étroitement les uns sur les autres, pratiquement sans matrice, à part un peu de hyaloclastites provenant de l'émiettement par friction de leurs bordures vitreuses.
Il s’agit bien de coulées épanchées en milieu marin comme le prouvent les organismes (coraux, crinoïdes) qui vivaient sur la boue calcaire perturbée par l’épanchement du magma basaltique.
Dans le ciment calcaire des coussins de lave, bien qu’il soit recristallisé, on observe de nombreux débris organiques parmi lesquels des trilobites, des brachiopodes, des crinoïdes, des bryozoaires, des ostracodes, des conodontes. Ce calcaire s'est déposé en mer calme, donc après l'arrêt complet des éruptions, comme le suggèrent des fragments intacts de tiges de crinoïdes. Une véritable lumachelle peut être observée par endroits, en placages sur le dos même de la coulée. Tous ces animaux vivaient dans la zone néritique, par des fonds de quelques centaines de mètres au maximum.

La lave, de couleur verdâtre, est un basalte spilitisé, recristallisé par métamorphisme hydrothermal. Il n’y a pratiquement plus rien de la paragenèse primaire. Les minéraux ferromagnésiens (olivine, clinopyroxène), sont pseudomorphosés en un mélange de chlorite et de calcite, et le plagioclase calcique est totalement albitisé. La mésostase vitreuse a recristallisé en un mélange de chlorite, d'oxydes de fer et de sphène.

L’éperon barré de Lostmarc’h

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La base de la pointe de Lostmarc’h est barrée par deux retranchements parallèles importants, des talus de terre. De profonds fossés sont creusés devant chacun d’entre eux.
Il s’agit d’une fortification protohistorique de l'âge du fer servant de refuge en cas de danger momentané.
Le site a été réutilisé au 18ème ou au 19ème siècle pour installer le corps de garde qui est aujourd’hui ruiné.

A pied, partir à l’est sur quelques dizaines de mètres et descendre au nord dans la crique de Porzig par un sentier en forte pente.

Arrêt n°4- Crique de Porzig (Crozon)

Juste au nord de la pointe de Lostmarc’h, la crique de Porzig expose sur son flanc sud de spectaculaires brèches d’explosion particulièrement bien mises en évidence sur les blocs éboulés et polis par la mer.

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Au contact de la coulée précédemment observée sur l’éperon nord de la pointe, on trouve une brèche autoclastique de pillow-lavas. Ces brèches passent ensuite à une unité de brèches magnifiquement litées et granoclassées, montrant une succession de niveaux rythmiques d'épaisseur décimétrique. Chaque séquence commence par un niveau grossier à éléments basaltiques sombres de taille pluri-centimétrique, aux formes déchiquetées, et passe progressivement vers le haut à des tuffites cendreuses fines, dont les éléments font moins de 2 mm de diamètre. Les bases de séquences sont parfois ravinantes. La matrice carbonatée blanche est abondante, analogue à celle des pillows observés précédemment.

L'interprétation de ces brèches a suscité de nombreuses discussions. S'agit-il de turbidites épiclastiques re-sédimentées, déposées sur les flancs de l'édifice volcanique ? Les belles séquences granoclassées avec figures de ravinement pourraient le laisser penser. L'examen des lames minces ne confirme pas cette hypothèse : non seulement les clastes sont extrêmement déchiquetés, mais ils sont souvent reliés les uns aux autres par de minces filaments de verre. Un dépôt de type turbiditique aurait dû arrondir les clastes, et surtout rompre les fragiles filaments vitreux. L'autre hypothèse consiste à voir dans ces dépôts des brèches pyroclastiques sous-marines formées par de violentes explosions à fleur d'eau. Les contours déchiquetés des clastes s'expliqueraient mieux. Un parcours aérien aurait permis aux clastes encore chauds et fluides de s'étirer en formant des filaments, et de retomber tels quels dans la boue sédimentaire.

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Les éruptions sous-marines explosives sous faibles tranches d'eau et leurs "gerbes cypressoïdes" caractéristiques sont essentiellement dues à l'expansion des gaz magmatiques et à la vaporisation instantanée de l'eau de mer au contact du magma. La lave, intensément fragmentée par les explosions dues à la détente des gaz magmatiques et de la vapeur d'eau de mer, retombe sous l'eau en formant des couches stratifiées de hyaloclastites d'explosion. On sait que de telles éruptions ont peu de chances de se produire au-delà d'une profondeur de 500 mètres.

La coupe se termine par un puissant niveau de calcaire massif et cristallin de dix à quinze mètres d'épaisseur, contenant de rares fragments reconnaissables de brachiopodes, de lamellibranches et de bryozoaires.
Au total, l'ensemble des coulées à pillow-lavas et des brèches volcaniques associées de Lostmarc'h représenterait une succession de moins de 200 m d'épaisseur. L'estimation est cependant délicate, compte tenu de l'importance de la tectonique.

Conclusion

Aujourd’hui, en presqu’île, il faut abandonner l’idée d’un volcanisme bimodal acide-basique. Le volcanisme ordovicien de Crozon est uniquement basaltique. Il s’est développé sous une tranche d’eau qui ne dépassait vraisemblablement pas quelques centaines de mètres, dans un domaine de plateforme continentale affectée par des mouvements tectoniques distensifs de type rift ou pré-rift.
Alors qu’au début de l’Ordovicien la sédimentation était détritique terrigène, elle devient franchement carbonatée durant toute la durée du volcanisme.
Les falaises de la presqu’île conservent la mémoire de la mise en place de ce volcanisme basique à 3 niveaux de profondeur :
- Un niveau profond avec des intrusions doléritiques, non observées lors de cette sortie, reconnaissables dans les sills de Kerdreux et de Kerdra, au sud de Lostmarc’h.
- Un niveau moins profond, subvolcanique, avec des sills et des dykes intrusifs dans des boues sédimentaires carbonatées encore meubles ou bien dans des tufs pyroclastiques (Raguenez, plage de Lostmarc’h).
- Un niveau superficiel avec les coulées à pillow-lavas et leur cortège de brèches autoclastiques, de hyaloclastites, épanchées au fond de la mer, sur et dans des sédiments carbonatés (pointe de Lostmarc’h, Porzig). Ces laves sont fortement spilitisées, sans doute par une intense circulation hydrothermale. De violentes explosions à très faible profondeur ont engendré des dépôts pyroclastiques bien stratifiés et souvent granoclassés.

La géochimie des dolérites (Terres rares, éléments incompatibles) montre que les volcanites de Crozon sont issues de magmas basaltiques proches des tholéiites continentales. Tout confirme que les laves se sont mises en place dans un contexte de rifting sur marge continentale amincie et en extension.

Il y a 460 millions d’années environ, le Grès armoricain se dépose sur les secteurs de Crozon Nord et Crozon Sud. Ce dernier est marqué par une forte subsidence.
Entre 460 et 455 Ma, se déposent les Schistes de Postolonnec, puis les Grès de Kermeur. Le contraste entre la plateforme stable de Crozon Nord et la forte instabilité de Crozon Sud s'accentue.
A l'Ordovicien supérieur (Fig.3), la sédimentation de plateforme se poursuit sur Crozon Nord avec le dépôt des Schistes et Grès du Cosquer, sans aucune trace de volcanisme, alors que simultanément un important volcanisme basaltique sous faible tranche d'eau se développe dans Crozon Sud, dans les sédiments carbonatés de la Formation de Rosan. Empruntant les failles normales d'un rift en formation, le magma basique s'injecte à plusieurs niveaux dans la série sédimentaire marine et débouche sur le fond marin, où il édifie à fleur d'eau des appareils volcaniques instables.

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Figure 3- Schéma de l’organisation volcanique et sédimentaire à l’Ordovicien supérieur en presqu’île de Crozon (d’après Thonon in Plusquellec et al. 2001)

En définitive, même si la coulée à pillow-lavas de la pointe de Lostmarc’h est sans doute la plus spectaculaire du Massif armoricain, c’est la diversité des brèches volcaniques qui retient l’attention faisant de la presqu’île de Crozon un musée in situ des formes d’expression du paléovolcanisme basaltique sous-marin sous faible tranche d’eau.

Texte et clichés: Jean Plaine

Bibliographie
(présentation chronologique)

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MAILLET P. 1977- Etude géochimique de quelques séries spilitiques du Massif armoricain ; implications géotectoniques, thèse 3ème cycle, 134p., Rennes.

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